Dans Charlie il y a(vait) hebdo

Dessin (et mélancolie) d'Olivier Taffin

Dessin (et mélancolie) d’Olivier Taffin

Stupéfait par l’assassinat de la conférence de rédaction de Charlie Hebdo rue Nicolas Appert, et puis submergé par l’émotion, la colère, des souvenirs, je n’en étais même pas encore à chercher des mots, quand j’ai reçu ce texte d’une amie. Elle y écrit clairement et justement les choses. Les émotions du moment, avec un pas de côté, et je lui ai proposé de partager son texte ici. Je m’associe simplement à la parole à Marie-Claire Pompéani, écrivez-un mot ici si vous le voulez, je lui transmettrai.

 

« Tout le monde prend la mesure de l’horreur : 12 tués en plein Paris, mais tout le monde ne prend pas la mesure de l’horreur, de ce qui a été véritablement massacré, tiré à bout portant en plein coeur de midi.

Charlie n’était pas un journal satirique, de caricatures faciles avec des rires préenregistrés (ça, c’est la télé qui s’en charge). C’était un journal engagé, d’investigation, d’enquêtes, vivant sans publicité. Un journal, des journalistes sérieux, d’une probité, d’une honnêteté exemplaires, d’une culture rare, d’un engagement sans faille, insolent, intègre : libre, érudit et révolté, montrant le monde tel qu’il est, levant tous les coins de rideau et de tapis pour nous montrer les déchets toxiques qu’on y cache et qu’on nous tait : politiques, économiques, de santé, écologiques, de société et people même, sans raccourcis, sans facilités, sans simplifier.

Consacrant leur vie à nous donner un peu de lumière, à nous rendre un peu moins imbéciles et béats et à nous engager peut-être, à tout le moins prendre un peu de recul et d’esprit critique.

Reprendre un peu pied, être à nouveau un peu acteur de sa vie, réfléchir, comprendre. Ils nous aidaient à nous sentir vivants. On ne leur a pas (assez) dit.

Ils ne sont plus là. Ils sont irremplaçables.

« Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place » : est-ce encore possible ? Y en a t-il encore des amis qui vont sortir de l’ombre à leur place ? L’ombre s’est déjà bien déployée.

Ils résistaient.

Mais quelle attaque à la République, à la démocratie que leur mort !

Il n’y a en France que deux journaux d’investigations indépendants (sans pub), c’était déjà un drame !

Personne ne s’en est inquiété !

Ils n’imaginaient pas cela, leur mort ni dans ces conditions, nous non plus !

Et ils n’imaginaient pas non plus devenir les « martyrs » (une horreur pour eux) manipulés par une cause opposée à ce qu’ils avaient toujours défendu : la tolérance, la bienveillance des uns envers les autres, la haine désamorcée par l’humour, l’humanité partagée.

Ils me manquent déjà et Charb chaque semaine me pointant « t’as vu ça ? », j’avais vu sans voir ou sans oser voir. J’aurais du lui dire « merci » à chaque fois. Et j’ai peur, oui vraiment très peur, en plus de l’immense chagrin, de l’immense tristesse, de la perte douloureuse, aigüe de la personne qu’ils étaient, perte du soutien qu’ils constituaient (sans le savoir, mais en l’espérant, j’espère), perte de la démocratie qu’ils instituaient, de la République qu’ils défendaient.

J’ai peur que leur mort soit instrumentalisée, j’ai peur que quelque chose dégénère à leur corps défendant, j’ai peur que rien ne tienne plus, que quelque chose bascule : tyrannie sécuritaire, racisme exacerbé, violence aveugle.

Ils dénonçaient tout cela. Ils ne sauraient en être le prétexte !!!

Il ne le faut pas.

Comment faire ?

Que dire ?

Je ne sais pas.

Je pleure. Je les regrette, eux, auraient su quoi dire, de leur propre mort, s’ils avaient pu l’imaginer. »

Marie-Claire Pompéani, le 7 janvier 2015.