Installation en archives

À l’occasion des 20 ans du bâtiment (conçu par l’architecte Jacques Morel) des Archives de l’Aube, j’y réalise une installation. Comme un fil d’Ariane, une frise de près de 300 mètres (!) court à hauteur du regard, le long des parois et espaces du bâtiment. Elle se compose d’un grand nombre de photographies fragmentaires des documents.

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Évidemment, le propos n’est pas commémoratif. Le fil d’A. invite à une lecture du lieu et de sa fonction. Il joue avec le sens des documents sans chercher la restitution fidèle, ni l’ordonnancement chronologique et finit par en révéler l’intimité. Le fil d’A. propose ainsi plusieurs parcours et perspectives : au long de la coursive extérieure, dans les salles de lecture et de conférence, où les images se font vitrail, ou dans l’espace d’exposition qui se transforme en « forêt » d’images doucement mobiles.

Extraits du projet dans le tiroir :

Extraits du projet

À l’occasion des vingt ans du bâtiment des archives départementales de l’Aube (architecte Jacques Morel, 1988), les archives confient à Nicolas Taffin (photographe co-auteur de « Livre, » avec Michel Melot) la réalisation d’une installation. Celle-ci, baptisée “Le fil d’A.” et inscrite dans l’espace public extérieur et intérieur, se veut un soulignement de l’espace, des rythmes et des usages des archives, proposant de faire sortir nombre de documents de leur “réserve” pour un parcours insolite et intime. Elle accompagnera la célébration de l’anniversaire du bâtiment du 24 avril au 24 juin 2008 et pourra se prolonger plus durablement.

L’installation

Il s’agit d’une installation car tout commence par le lieu. Tout part de lui. Comprendre les archives dans leur fonctionnement quotidien, mais également explorer ce qu’elles recèlent, s’imprégner de ce qu’elles dégagent de manière plus intemporelle. L’installation est une exposition “à l’envers” qui ne commence pas par le choix d’une œuvre à accrocher, mais se termine par elle, une fois installée dans le lieu pour lequel elle a été conçue.

Le fil d’A. se manifeste comme un long ruban de près de 300 mètres, courant à hauteur du regard le long des parois et surfaces du bâtiment. Il est composé de centaines de vues des documents d’ordinaire abrités de la lumière et du regard dans les magasins des archives. Le fil d’A. peut-être suivi, il invite alors à une lecture du lieu, de sa fonction, et à jouer avec le sens des documents qu’il contient. Ne cherchant ni la restitution fidèle des documents, ni l’ordonnancement chronologique, il propose de découvrir les archives de l’Aube avec un regard différent.

Pour cette installation dont la scénographie a une importance toute particulière, Nicolas Taffin a fouillé dans les réserves imposantes des archives, et produit des centaines de photographies partielles et fragmentaires de documents choisis et observés en toute subjectivité. C’est cette subjectivité dans le choix, le cadrage et l’association des images qui tisse le fil et, tout en le tissant, garantit également qu’il ne s’agit que d’un fil parmi une infinité d’autres possibles, révélant le rôle essentiel de l’archive de conserver sans présumer à l’avance les usages et l’importance de ce quelle tient à disposition du public.

Mais qui est donc A. ? A. comme point de départ. A. pour Ariane, A. pour Archive aussi, A. pour Aube, bien entendu. Nous tenons un fil. Et si on sait qui est A., il ne reste plus qu’à partir en quête de Z. : une motivation pour suivre le fil jusqu’au bout, d’alpha en omega. Mais a-t-il un bout ? Il semble que si tout vient des magasins de l’archive, tout soit également destiné à y finir. Ce mouvement n’a de fin, le fil est une boucle et l’Archive est infinie.

Le fil d’A. a trois sources d’inspiration :

1/ L’architecture, ses volumes et espaces. Jacques Morel, architecte définit ainsi son travail : « Sculpture simple sur tapis de verdure, volumes simples hors la mode du moment, masses creuses recelant toute l’histoire, quadrillage de lumière pour accueillir les hommes. C’est ainsi que nous avons construit nos archives. » L’idée a émergé d’une installation “monumentale”, puisqu’inscrite dans le lieu, mais pas imposante (fine, peu obstrusive) dialoguant avec l’architecture, qui la souligne dans sa simplicité (ici en rouge, en réalité en images) et invite à la parcourir, à jouer de ses transparences, de ses perspectives, en en montrant les points de fuite. Un camaïeu de couleurs dans l’univers géométrique noir blanc de l’architecture, qui utilise à bon escient les technologies numériques de traitement des images pour les mettre en espace. Découverte ou redécouverte : le fil d’A. est une invitation au cadrage : en le suivant on est amené à effectuer comme un travelling de cinéma dans le bâtiment et autour de lui. Le fil d’A. entre et sort des réserves, circule dans les lieux publics ou non, dedans, dehors, autour de l’architecture. Il invite le visiteur à faire réellement une visite, entrer, sortir, se placer de chaque côté des vitres, etc. C’est un jeu avec le visiteur : il accroche son attention, l’accompagne, le détourne, aussi, ou le surprend, dans l’esprit du fameux logo des archives « (? … !) ».

2/ Le lieu et sa fonction. Dessiner un trait, c’est d’abord souligner le temps. Le temps passe pour tous et le temps passe partout. Nicolas Taffin, en travaillant avec les archives s’interroge sur le statut de l’institution. Quel qu’il soit, un projet d’archive semble toujours colossal et vain. Comme si le passé ne se rattrapait pas. Et pourtant… Pourtant dans ses réserves, l’archive amasse et engrange sans discrimination (mais pas sans classement). Ce vaste magasin constitue la réserve pour une mémoire du quotidien. Réserve solide, froide, sombre et fermée, pour les besoins de la conservation. Comme un inconscient de notre activité sociale consciente. La mémoire ce sera une lecture, un chemin tracé par une personne, un historien, un utilisateur de l’archive et sa sélection documentaire puisée dans cette vaste réserve. Mais dans cet inconscient on peut rêver aussi. Errer sans but précis. Nicolas Taffin s’y enferme pour fouiller, regarder, associer, cadrer. Il propose d’aider les documents à sortir de leur réserve dans tous les sens du terme : de venir parler dans l’espace public. Et comme pour les mettre en confiance, il apporte quelques archives personnelles, souvenirs intimes. Un moment, le fil se fragmente dans une forêt doucement mobile, rappelant également que tout n’est pas si linéaire : la vérité n’existe peut-être que pour un moment et il y aurait alors autant de fils que d’Arianes. Au final, le choix du fil d’Ariane est celui d’une invitation à tisser. Ce sont tous les utilisateurs silencieux et concentrés de l’archive qui créent l’histoire : un regard porté depuis le présent et qui se nourrit du passé. En cela l’archive est plutôt tournée vers l’avenir que que vers le passé.

3/ Le document d’archive. Quel que soit son état, son support, son usage ou son propos, tout objet peut devenir document. C’est pourtant pour l’essentiel de papier qu’est fait le document, car le papier a été inventé pour cela. Durable mais fragile, il requiert tous les soins de l’archiviste pour exister. Et exister c’est déjà être localisable : le classement, la nomenclature, le rangement sont la condition sine-qua-non de l’existence du document d’archive. Un document qui n’est pas à sa place est un document quasi-irrémédiablement perdu. Un non-archiviste en magasin, incapable d’interpréter les cotes et classements, est lui-même un être perdu dans un labyrinthe. Lâché dans les magasins, le photographe est égaré. Des bâtiments, étages, coursives, salles, étagères se répètent comme à l’infini. Le fil d’A. nécessite des centaines d’images. Un défi qui demande un dispositif léger de prise de vue, afin de favoriser la mobilité, la vitesse et la spontanéité. Les images ne prennent leur sens au final que dans l’interprétation du photographe, support pour celle du spectateur (pas question ici de rechercher la fidélité de la restitution documentaire). Pour cela, le photographe propose des vues et lumières délibérément non “documentaires”, très gros plans, bougés, cadrages, font vivre les matières, la sensualité des supports et donnent à voir et à lire un regard subjectif. Choisis et observés en toute subjectivité, les documents se mettent à parler, sortent de leur réserve. Que chercher ici ? Des traces du passé ? Un sens de la vie, de sa vie ? Une éternité peut-être : en apportant quelques documents personnels comme en sacrifice, le photographe semble vouloir s’installer ici, comme pour échapper au temps. Mais l’Archive n’est pas un lieu culte. C’est un lieu de travail et de découverte. Alors il se découvre, un peu. Comme tous ceux qui passent ici. Le regard du spectateur est en fin de compte l’Ariane recherchée par le photographe perdu dans le labyrinthe des magasins. Tout ce qui sort de l’archive, sort pour servir, être utilisé. Et tout ce qui est produit y revient. Des archives aux archives : la vie documentaire est une grande boucle que nous traversons, exploitons et enrichissons. Le fil qui sort de la réserve y retourne. Aube ou crépuscule ?

Prises de vues et mise en scène, Nicolas Taffin Réalisation José Machado des ateliers sérigraphiques Dentinger Archives départementales de l’Aube, 131, rue Étienne Pédron à Troyes Tél. 03 25 42 52 62 – http://www.archives-aube.com