Yves Perrousseaux n’est plus

Vendredi 20 mai 2011

image Photographié par Michel Balmont en 2009.

Il nous avait pourtant préparés, lui qui parlait sans pudeur de cette maladie qui le rongeait depuis des années : nous en savions les rémissions, les résurgences. Il n’en minimisait pas la gravité, non, comme si vraiment il nous amenait doucement à accepter ce qui devait arriver, tout en continuant, au présent, à travailler. Nous le retrouvions ainsi, en même temps qu’il nous retrouvait, de saison en saison. Car il n’en manquait pas une, de saison, passionné qu’il était par les Rencontres de Lure, et chaque été il était là pour une semaine entière, même très fatigué.

Yves Perrousseaux a relaté admirablement, par exemple en introduction à son Histoire de l’Écriture Typographique, ce qu’il estimait être sa «dette» envers les Rencontres de Lure. Lui, modeste «imprimeur», curieux de tout, comme adopté par ces géants qu’il voyait à Lurs. Éponge qui s’y imprègne de leur connaissance, de leur exigence. Tant d’amitiés, si productives. Et puis un jour, le désir de restituer tout cela. Comment ? Un vaste projet à organiser : édition, recherche, entretiens, écriture, conférences. À nous de souligner aujourd’hui la manière unique dont il s’est acquitté de ce qu’il décrivait comme sa «dette», qui ne fut en fait qu’un formidable échange.

Petit éditeur des grands : Gérard Blanchard, Adrian Frutiger, Ladislas Mandel, François Richaudeau… Il leur a donné la parole au fil des volumes, contribuant à redonner une place éditoriale à la culture de la lettre. Puis à son tour il a commencé à écrire. D’abord modestement, en se cantonnant au champ de la technique, puis enfin dans ce projet plus ample d’une histoire de la typographie. Une histoire bien particulière tant l’écriture d’Yves Perrousseaux a la qualité d’être accessible à tous. Se souvenant sans doute de sa propre trajectoire autodidacte, de son adoption par les gens de Lure, il a toujours tenu à amener chacun à découvrir ce qu’il pensait, à juste titre, être un champ magnifique et méconnu d’art et de connaissance : la typographie.

Il est ainsi devenu acteur de cette connaissance. Yves avait le privilège (très rare) d’intervenir chaque année lors de la semaine d’été des Rencontres. Certes, parce qu’il avait toujours des choses à proposer, à dire et à montrer, mais aussi parce que nous savions la chance que nous avions d’avoir a nos cotés une mémoire aussi vive et passionnée qu’amicale.

Sur l’estrade, il n’était pas toujours à l’aise, peut-être impressionné par l’écho du passé à la « Chancellerie ». Mais sitôt la pause survenue, il redevenait jovial et intarissable, n’hésitant pas à ouvrir sa serviette de documents pendant un repas, à discuter avec tous, et particulièrement les étudiants, assumant ce qu’il pensait être le rôle indispensable de relais entre les générations. Alors nous l’encouragions à rester ainsi : à prendre la même parole comme orateur que comme camarade.

Les Rencontres auront bientôt soixante ans, elles déplorent donc de nombreuses et grandes pertes ces dernières années. Mais elles se sont aussi formidablement renouvelées dans leur histoire. C’est plus vrai que jamais et nous savons que l’exigence d’Yves pour s’ouvrir aux autres n’est pas vaine et assure l’avenir de cette magnifique et universelle «discipline de l’Esprit» qu’est la typographie. Le travail d’Yves continue, grâce au relais qu’a pris David Rault.

Une biographie par David Rault, Une autre par Jean-François Porchez Un témoignage de Frank Adebiaye