Une théorie imaginaire de l’écriture typographique.
La revue Communication et Langages a 50 ans, elle a consacré un numéro spécial à Gérard Blanchard, prolifique et multimédia typophile de la première heure. C’est donc un double événement. J’y ai apporté ma contribution par un petit texte en forme d’hommage que je vous propose ici en bref feuilleton. Mais ne manquez ni ce numéro de la revue, ni les archives disponibles en ligne sur le site Persée.
Résumé : Comme un « musée imaginaire », cet article en forme d’hommage à Gérard Blanchard est constitué de deux parties : le récit d’un songe durant lequel est découvert un modèle graphique, puis la description de la théorie que ce modèle figure. L’écriture y est polarisée par un triangle constitué de la signification, de l’enregistrement et de la forme. Chacun de ces sommets est décrit avec la forme archétypale d’écriture qui lui correspond, en opposition aux autres sommets. La typographie réalise les trois aspects simultanément et se place ainsi en tension au centre du triangle, à égale distance des trois sommets. Cette théorie imaginaire permet d’illustrer la raison pour laquelle une technique (un ensemble de techniques) peut trouver une place aussi centrale dans une œuvre et un système de valeurs. Il aurait pu être titré : Comprendre Gérard Blanchard… mais qui aurait osé ? …
Le songe d’un matin d’été
Dans ce songe, je gravis au matin un chemin bordé de rocaille et de thym. Sa montée, bien qu’aigüe et interminable, est pourtant rectiligne. D’ordinaire, un cheminement serpente, épousant la colline et ses courbes ; là, non. Il me faut aller tout droit sur ce vecteur ascendant, en me demandant un peu essoufflé si cela aura une fin. Au bout d’un long moment de marche dans l’air frais déjà visité d’essences, un panneau indique «Lumière», je ne sais plus dans quelle langue. Je comprends : je suis frappé au même instant par le soleil qui inondait l’autre versant, à l’Est. Arrivé au sommet, donc. Le chemin est maintenant bordé de pendules de pierre, plantées là un peu de guingois, m’évoquant un Chirico. Au bout, une minuscule chapelle attend, j’en franchis la grille entrouverte, en ruminant quelque chose comme : bien que non croyant, j’en reste un esthète et un curieux.
L’odeur du marbre humide, quelques ex-voto perdus, un autel. Sur le devant d’autel, dans un vaste encadrement, un triangle assez grand est gravé, avec des signes, des initiales. Je m’approche. Le soleil qui était toujours là derrière un petit vitrail, éclate en polygones colorés qui me tachent en passant. Un coup de bleu. Et là, sursaut : l’instant de mon inattention, le triangle gravé dans la pierre de l’autel ne me semble plus droit comme la pyramide posée solidement sur sa base, ou comme le compas posé en équilibre sur ses pointes. Il a été pivoté, de quelques degrés vers la droite, ce qui fait qu’il ne semble plus posé sur sa base, mais comme en déséquilibre. Je trouve cela très étonnant et moderne.
Je m’approche encore. La gravure, pourtant profondément entaillée dans le marbre, a encore changé, un peu plus inclinée. Je m’arrête et observe sans ciller: il me faut admettre que le triangle est en révolution autour de son centre, insensiblement. Au centre, et bien immobile, il y a comme un soleil avec ses rayons, portant des lettres, pas d’alpha et d’oméga, pas de «IHS», mais un «G» et un «B». Les trois sommets du triangle pointent tous vers une sorte de chiffre 10. En les détaillant, je lis cette représentation comme naturellement : «Voilà le signe», me dis-je ; «celui-là c’est le support», et le troisième, «mais c’est la forme». Pourtant, des symboles de ces notions sembleraient difficiles à imaginer : le signe du signe ? Tautologie tout aussi improbable que le signe du support ou même que le signe de la forme. Mais là, c’est lisible, sans ambiguïté, alors même qu’il n’y a bien à chaque sommet qu’un I et un O. Voici, me dis-je-alors, l’écriture au centre d’un triangle constitué de la sémantique, de la pragmatique et de la syntaxe. Je me réveille alors, comme secoué par l’urgence et j’écris presque aussitôt et frénétiquement ce que j’ai lu dans cette gravure animée, mais malheureusement pas assez vite pour n’en rien oublier.
Voici ce qu’il en reste… J’espère que ces notes lacunaires porteront témoignage de la limpidité et de la cohérence originelle qui les a inspirées : «On peut envisager l’écriture sous trois aspects essentiels et l’éclairer depuis trois points : en la considérant comme séquence signifiante, ou comme enregistrement sur un support, ou encore comme arrangement de formes. En général, un point de vue domine, en opposition aux autres, constituant une polarité.»
Bonjour Nicolas, en utilisant les différents liens donnés, on ne tombe pas sur le numéro spécial Gérard Blanchard… ou bien est-ce le n°179 de mars ?… Sinon, sais-tu si on peut acheter la revue dans une librairie parisienne ou un autre lieu parisien ? Merci.
Le distributeur, Dif’Pop : http://difpop.com/index.php?main_page=index&typefilter=record_company&record_company_id=203
Apparemment, c’est avec eux qu’il faut voir, mais normalement le numéro peut être commandé en librairie…