Typothérapie, en coulisses

Il est arrivé chez C&F éditions, notre maison (il est mieux de le préciser) dont l’associé Hervé Le Crosnier me pousse depuis longtemps à le publier, avec mon amie Marie-Astrid Bailly-Maître, coordonatrice de l’autre livre sur la typo que nous diffusons (À la poursuite du livre rêvé par Jean Giono et Maximilien Vox). C’est le premier volume d’une collection – Questions de design – qui proposera bientôt d’autres essais illustrés passionnants. Publier chez C&F était important pour moi, vis-à-vis de nos auteurs, de l’actualité de l’édition, et de nos manières de travailler (que je vais raconter ici).

Premier feuilletage…

Typothérapie, fragments d’une amitié typographique est un recueil (illustré) d’articles, avec toujours la typo au cœur. Plus de vingt-cinq ans en rétrospective, ce qui a demandé un gros boulot de sélection et de « remasterisation », c’est-à-dire de relecture, révision, correction et mise à jour. Tous les textes ont été revus. Il y a aussi des inédits : essais, correspondance, petits textes trouvés dans des boîtes à chaussures. 10 ans de procrastination et de travail entrelacés. Un travail sérieux, mais qui s’adresse à tout le monde et essaie de fuir l’ennui.

C’est Michel Melot, grand érudit (je ne dis pas spécialiste) du livre et des bibliothèques, qui a gentiment rédigé une très belle préface. D’heureuses retrouvailles après notre travail commun sur Livre, en 2006.

On peut trouver ce livre en ligne (éditeur, FNAC, Amazon…) et dans toutes les librairies, sur commande, mais n’hésitez pas à en parler un peu avec votre libraire, si vous trouvez qu’il manque sur ses tables et étagères : on a parfois du mal, en tant qu’éditeur indépendant, à convaincre les libraires de prendre quelques livres, au lieu de simplement répercuter les commandes une à une… Vos mots peuvent vraiment faire la différence.

Sur la table

Ce recueil est donc consacré à la typographie, au sens large. On pense souvent aux caractères, mais la typographie c’est aussi le domaine des pages, et toute une culture qui s’est élaborée autour de l’acte de composition. C’est important, ces aller-retours incessants entre le micro et le macro. L’introduction relate les conditions et le parcours de sa rédaction. Elle est dans le spécimen téléchargeable gratuitement donc je ne la répète pas ici. L’ouvrage est organisé en quatre parties :

D’abord les essais typothérapeutiques, comme une invitation à ouvrir les yeux sur les phénomènes à l’œuvre sur la scène de la double page, et sur les effets bénéfiques que cela peut avoir. C’est pour moi le cœur battant de l’ouvrage, nourri initialement par mon travail initial de recherche (en DEA de philosophie à Paris X Nanterre). Le travail invisible de la typographie y est décrit, les phénomènes nés de la mécanisation de l’écriture, tant sur le papier que dans les esprits, avec le développement de l’humanisme, l’empathie, le soin.

Mais les choses se libèrent doucement, et on trouve ici des récits mythologiques, des rêves, un feuilleton, des emails, tous nourris par la pensée des caractères, au fil du temps, de la Renaissance à nos jours. J’essaie de montrer à quel point cet univers est profond et riche, et délirant et amusant aussi, dès l’origine. Pour moi la thérapie a aussi été de pouvoir m’émanciper doucement de l’écriture académique, d’apporter des enjeux personnels, des souvenirs. C’est aussi de ma thérapie qu’il s’agit.

Dans la deuxième partie, Varia, on trouve des regards et des prises de positions sur des phénomènes plus contemporains de l’édition, qui sont expliqués, comme le streaming de fontes, les liseuses, ou le single source publishing. J’essaie de motiver un engagement vif dans les évolutions techniques, à l’opposé du conservatisme, mais qui saurait aussi préserver l’humanisme typographique et l’injecter en quelque sorte dans le développement des techniques numériques.

Ensuite dans la partie Rencontres viennent une série de courts textes pour la plupart issus de prises de paroles à Lurs. Les Rencontres de Lure ont été pour moi la possibilité de poursuivre la recherche sur le mode de l’université populaire. C’est un endroit extraordinaire pour découvrir la typographie et sa dimension culturelle. Il suffit de feuilleter le programme des années précédentes sur la ligne temporelle Timelure qui couvre 70 ans, pour en prendre la mesure (j’en ai parlé ici).

La dernière partie, Rencontres, ce sont quelques hommages, car à Lure, ce qui compte plus que tout, ce sont ces rencontres et j’ai connu au tournant des années 2000 un véritable passage de relais, dans l’amitié et la peine. Les quelques textes choisis essaient de faire émerger des figures, mais surtout des esprits, des exigences qui dessinent aussi une ambition tournée vers l’avenir.

Yann Trividic et Chloé Bonnier, du service qualité C&F éditions, examinent scrupuleusement la conformité ISO 9001 de l’ouvrage.

Un livre réseau

Le livre a été monté avec Marine Kennerkecht, jeune éditrice chez C&F, et avec Hervé Le Crosnier. André Sintzoff qui en a été le premier relecteur. Il a été terminé avec Yann Trividic qui a pris en charge la conception de la couverture.

L’ouvrage prend une forme traditionnelle, un dos carré cousu, un bouffant naturel, des images au trait, une composition sage. Pourtant la manière de le faire ne l’est pas. Il a été, comme beaucoup de nos livres réalisé en HTML dans une approche single source (une structuration sémantique, une séparation stricte du contenu et de la mise en forme – plus ici et ). Avec des feuilles de style CSS et le polyfill PagedJS, que nous enrichissons au fil du temps (un merci au passage à Julien Taquet et Julie Blanc pour leur travail de développement, de documentation et de soutien). Ce n’est pas encore parfait, mais c’est pour la bonne cause : l’usage du HTML et CSS nous semble fondamental, et a permis par exemple de partager les sources entre l’éditrice, le compositeur, le relecteur, sans obliger personne à louer un logiciel privateur pour intervenir. Et d’autres manifestations que le livre imprimé sont possibles.

Le code ↑ et l’aperçu du résultat.

Les réactions par ici ont été variées, parfois enthousiastes, parfois un peu plus réservées. Mais c’est ce qui me plaît aussi : il y a beaucoup d’interprétation et donc potentiellement d’élucubration ici, j’y mets beaucoup de moi-même sans chercher la neutralité et je comprends que cela ne puisse pas convenir à tout le monde, ou que je sois contredit. Il reste forcément aussi des approximations, qui seront relevées par les connaisseurs qui dans ce domaine sont nombreux et pointus. Mais je suis heureux de partager ces textes, qui j’espère donneront par dessus tout de l’inspiration, du plaisir et l’envie de se plonger « en typographie ».

Il y aurait encore beaucoup à raconter, mais on va s’arrêter là. Un petit mot pour finir sur le dessin de la couverture ? Il n’est évidemment pas à l’envers : c’est un dessin de Saul Steinberg, plein d’affectueuse ironie sur le travail du typographe, c’est aussi l’initiale de mon prénom, comme vue de l’autre côté du miroir, avec sa naïveté et sa maladresse. Je ne peux pas me lasser de ce dessin et de tout ce qu’il recèle. Il est amusant de savoir que les ayants droit (Saul Steinberg Foundation) en avaient oublié l’existence et que nous avons travaillé avec l’ADAGP pour les aider à retrouver sa trace et finalement pouvoir l’utiliser.

Si vous êtes encore là, j’ajoute que vous pouvez en savoir encore plus sur le site de l’éditeur et y télécharger un spécimen généreux ou l’y commander.

Typothérapie
Fragments d’une amitié typographique
Collection Questions de design
C&F éditions
ISBN 978-2-37662-053-2
15 x 21 cm. – 272 p.
25 €

Ce projet a bénéficié d’un soutien de la DRAC de Normandie et de la Région Normandie au titre du FADEL Normandie.