Entreprenants, dématérialisés, indépendants hi-tech, créateurs pressés par les bouclages, les deadlines, les mails ; on se sentirait bien loin de ce qui se passe en bas – oui oui, en bas dans la rue (pourtant, ici entre la Bastille, la République et la Nation, on ne peut difficilement l’ignorer ;-). Aujourd’hui on parle de démocratie, et c’est dans la rue, pas sur le net, que ça se passe. Les parlementaires, nos représentants à nous, le peuple, reprennent le travail. Et les travailleurs (eux-seulement ?) s’arrêtent, manifestent. Je dis qu’on se « sentirait » loin d’eux, dans notre bulle hyperproductive, hyperprécaire, hypertoutetn’importequoi, parce qu’en réalité, les choses se précipitent, la violence et la pression politique et économique sont tellement fortes qu’il faudrait être vraiment anesthésié pour ne pas être furieusement démangé par le pavé. Des raisons ?… Colère : j’en ai vraiment marre. Marre de voir le tissu social se désagréger, marre de laisser une telle haine du peuple s’exprimer et agir. Les raisons de la colère ? Une coupe énorme qui déborde à force de se remplir.
Dodo : des marchands de biens qui s’achètent et se revendent les villes à prix d’or « à la découpe » avec en corrollaire des expulsion de familles accélérées cyniquement à la veille d’une trève hivernale si chèrement obtenue. Des travailleurs qui paient pourtant des loyers exorbitants et à qui on ne proposera pas plus de logements sociaux quand, dans une manipulation de chiffres, on démolit autant de logements sociaux qu’on annonce en construire (et peut-être même d’avantage).
Boulot : des entreprises qui expulsent elles aussi leurs salariés, et ne laissent à vivre à ceux qui restent, ici ou ailleurs dans le monde – le plus souvent, que la pression quotidienne d’un management qui les précarise, les déresponsabilise et les rend stupides ; misérables rivaux solitaires soumis à la loi du silence (le nouveau contrat CNE va ici achever les ravages). Pour les masses de chômeurs ainsi créés, un système qui les marginalise en s’efforçant de les radier le plus efficacement possible pour obtenir des statistiques en baisse, un système de santé démoli consciencieusement, et en toute discrétion (un ministre qui s’efforce de ne pas révéler le contenu réel de sa réforme, c’est quand même fort). Et toujours, en paralèlle, par toutes les fenêtres médiatiques, si vénales et débarassées de leurs dernières miettes d’intelligence, un discours-masque, ou bien un poujadisme qui accuse les fonctionnaires « nantis » – mais surtout derniers à l’ouvrir au nom de tous – ou la paresse et le pessimisme du Français, etc. Un gouverment désavoué trois fois de suite massivement et qui accélère la braderie sociale avant de se faire sortir. On lui laissera aussi le temps de supprimer aussi l’ISF sans doute.
Grosse grosse grosse fatigue. Envie de regarder ailleurs pour se rassurer ? Les américains annoncent la couleur par un terrible acte manqué : on commence par ne rien faire pour la population de la Nouvelle Orléans en détresse. Terrible tentation en effet. Car ce n’est pas par hasard. L’économique semble nous montrer qu’il se passera de nous. Le pouvoir d’achat de tous ne lui est plus un moteur nécessaire. Sans boulot, sans dodo, sans métro, voilà comment on voit le peuple de nos démocraties : des parasites (qui consomment sans produire). Pas de chance, la population est trop nombreuse et on commence à laisser des purges se faire. Catastrophes, épidémies, guerres, ont souvent été des ressorts utilisés par les pouvoirs qui pensent ainsi. Le plus terrible est alors pour ces prochaines années. Les prochains mois.
Alors juste pour montrer que même si nous vivions les derniers jours de la démocratie, on y tient, il faut au moins le dire, et sortir rejoindre les autres.