C’est drôle le petit concours de circonstances qui fait écrire un billet. Ici : une amie sténopiste, une constatation dans le journal et deux logiciels d’émulation de vieux appareils photos (Camerabag et Poladroid) auront concouru.
En feuilletant les journaux au café, l’autre jour, j’ai remarqué cette tendance (pas nouvelle) des photographes à produire, en particulier pour les portraits de personnalités, des images riches en grain, en flou, je veux dire de manière ostentatoire. « Voyez mon grain ! comme il est beau » disent ces images. Cela m’a rappelé que j’ai une amie qui pratique le sténopée avec des boîtes de conserves qu’elle dispose de longues minutes pour capturer une image parfois fantastique. Ou encore la Lomo-mania et le goût retrouvé pour ces petits appareils médiocres mais plus ou moins expérimentaux.
Eh oui, avec l’amélioration constante des résolutions des capteurs, des algorithmes de basse lumière etc. les images numériques se font de plus en plus précises, et du coup, toujours trop froides, pour certains. Il y a toujours un mouvement de balancier hi-tech low-tech qui est bien plaisant. À chaque avancée technique, correspond une vague nostalique. Pensez aux craquements du vinyle par exemple, perdus depuis le CD.
L’objectif des technologies de l’information est de faire disparaître les traces du médium, considérées comme du bruit, comme un défaut. Car elles considèrent non pas l’œuvre d’art, même pas l’image, mais les données, comme un signal à transmettre, stocker. Sans perte d’information, sans bruit, justement. Est-ce une bonne idée ? Oui et non. Oui pour les télécommunications (d’ailleurs il y aurait des progrès à re-faire, car depuis que tout le monde se « dégroupe » et passe en téléphonie sur IP, nous avons perdu les moyens de se téléphoner, ce dont je ne me plains pas au fond). Et non parce que justement il s’agit de création, et qu’on a toujours créé avec une matière. La toile, le film en faisaient partie. De plus, le monde analogique et son « bruit » généraient une entropie qui résolvait assez bien la question annexe du « piratage » de la création : dur à imiter au départ, et une génération de copie ça pouvait aller, si la qualité était là, mais une copie de copie était déjà suffisamment dégradée pour que le désir de l’original revienne. Ce n’est plus le cas, tout le monde le sait. L’analogique reproduit (au sens naturel du terme :-), le numérique clone.
Chaque medium laissait donc sa marque sur ce qu’il transmettait. Une marque indélébile, qui permettait aux connaisseurs de deviner immédiatement le dispositif complet de prise de vue, ou de son par exemple, à son grain, à ses qualités (car ses qualités n’étaient justement pas considérées comme des défauts). Ce n’est plus le cas. La chaîne numérique est sans qualités. Pensée émue pour les craquements du vinyle, donc. Mais que deviennent ces marques des mediums du passé ? Des signes. La boucle va se boucler.
Car ce qui devient amusant (ou tragique) c’est quand la nostalgie se nourrit elle-même des nouvelles technologies, comme tel logiciel qui permet d’écouter ses mp3 avec un son de vieux vinyles. C’est comme une démonstration par l’absurde. Ce n’est plus de la nostalgie, car on ne cherche pas l’original mais on fabrique des faux. Drôle de phénomène. On garde que ces signes du passé, on les met en exergue, mais de manière tout à fait synthétique.
Deux logiciels dans cet esprit pour faire joujou: Camerabag pour iPhone, qui permet d’émuler à la prise de vue cinq modèles d’appareils, correspondant au grain, vignettage, contraste, délavage des couleurs de différentes époques. http://www.nevercenter.com/camerabag/
Et Poladroid, plus drôle, qui génère une saleté de polaroid à partir de n’importe quel fichier. L’auteur a été jusqu’à créer une interface qui oblige à attendre pendant que sa photo se révèle progressivement :-) http://www.poladroid.net/