La barbe du book

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Retour au coupe-papier, mais sans coupe-papier

Je viens de recevoir un ouvrage américain un peu étrange : You Are Not a Gadget: A Manifesto de Jaron Lanier. Ouvrage bien contemporain, donc, qui traite de la personne confrontée au « web 2.zéro », et pourtant, je vois que sa tranche est irrégulière comme l’étaient les livres « non coupés » que l’on lisait avec un coupe-papier pour en séparer les cahiers. L’aspect irrégulier et cotonneux de la tranche était d’ailleurs le signe qu’un ouvrage avait été lu. Pourtant le livre est bien neuf et n’a jamais été lu.

Une drôle de chose que le retour de cet aspect oublié depuis le massicot industriel, que ne connaissent encore que ceux qui fréquentent les bouquinistes. Je retourne sur Amazon, regarde de près : en effet, l’édition que j’ai acquise est « Deckle edge » (qu’on pourrait peut-être traduire par « tranche brute » ou bien en reprenant la terminologie papetière, « avec barbe », ces irrégularités du bord des feuilles faites à la main). En fait ce n’est pas vraiment de la barbe de papier mais bien la marque d’une déchirure au coupe papier reproduite industriellement.

Du coup, esprit curieux, je fais une recherche sur amazon.com des termes [deckle edge] qui donne… pas moins de 1325 titres, que je compulse beaucoup de romans, hardcover, souvent « romantiques », « aventure », quelques beaux livres, quelques essais. En tout cas, le phénomène n’a pas l’air rare, peut-être même est-ce une mode.

Anachronisme

C’est amusant, de constater qu’on peut désormais choisir entre un fichier Kindle, pour tablette, et une édition coupée « à la main » (parenthèse : si c’est le cas : comment et par qui ?). Est-ce une mode rétro, une affectation, un décor « façon » rustique comparable aux fausses poutres de polystyrène que l’on peut coller au plafond ?

Au moment même où on ne parle que de tablette, d’écran tactile, d’ipad et d’ebook, le livre revêt outre atlantique des habits anciens. Curieux. Un livre qui « fait » livre. Retour sur Baudrillard : la société de consommation restitue toujours comme signe ce qu’elle liquide dans la réalité (La soupe « grand mère » de Findus ou bien la « résidence du sous-bois » construite là où on a rasé le sous-bois).

Le livre en tout cas se met au superlatif. Peut-être un genre de baroud d’honneur !

Un petit article du big bad book blog sur les « Rough trimmed pages »