Licence équitable et typographie

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(màj 04/02/11 puis 06/02/11) Frank Adebiaye, créateur de caractère-s (dans tous les sens du terme, donc :-) jette un pavé dans la mare typographique en lançant à travers un document PDF le SAT, « syndicat des acheteurs typographiques ». Tout en condamnant l’utilisation de caractères payants non achetés, il y souligne la nécessaire refonte des licences typographiques, en vue de leur cessibilité, mais surtout sans limitation ni comptabilisation du trafic par des start-up comme TypeKit ou autres (paiement à l’acte), et autorisant une conversion dans des formats utilisables en ligne. Coup de Gueule, appel au boycott, il propose surtout d’auditer votre typothèque si vous lui écrivez, ayant analysé une quarantaine de licences. Il promet également un guide des licences typographiques que nous attendons avec impatience (M-à-j : c’est un tableau). Des remarques dures, mais certainement stimulantes et possiblement salutaires pour les « petits » producteurs au bout du compte, et au moins pour une vraie mies à jour. Pourquoi ?

Tous petits caractères.

Z’avez déjà acheté une police ;-) ? z’avez déjà lu la licence ? Des licences, ce sont ces textes juridiques qui accompagnent les caractères d’aujourd’hui, car ceux-ci sont des programmes informatiques, dont l’utilisation est conventionnée par contrat. Vous pensez acheter un caractère ? Naïf, vous n’avez acquis que le droit de vous en servir, dans un cadre souvent très restreint, et malheureusement aussi parfois obsolète. Par exemple, certaines comptent les CPU (processeurs) utilisés, oui vous lisez bien ! Combien de CPU dans mes poches en ce moment même ? et dans cette pièce ? Pour lire et travailler. Vous voulez vraiment savoir ? intelligent à l’heure de la saturation prématurée des adresses IPV4 ;-). Quant aux droits de l’acheteur, vendre une police ? souvent impossible. La mettre en ligne ? Niet. Publier un bel ebook enfin correctement composé ? Nenni. Certaines licences sont cependant plus avenantes avec leurs utilisateurs que d’autres, franchement inéquitables. D’autres encore sont libres. Ce qui est certain, c’est que tous leurs rédacteurs pensent de bonne foi avoir servi au mieux leurs intérêts. Est-ce le cas ? Souvent le style est si contraignant, voire menaçant, que ces textes sont ultra-dissuasifs et qu’on comprend pourquoi ils sont écrits en petit. Pourquoi tant de méfiance avec ses propres clients ?

image (m-à-j : le document a été retiré, son auteur attendant une discussion… voir ce qu’il écrit dans les commentaires)

Le problème, comme dans d’autres domaines informatiques, c’est que la licence encadre les relations avec les « bons » (disons les « vrais ») clients : ceux qui respectent le typographe, ceux qui le rémunèrent, ceux qui jouent le jeu. Et c’est eux qui peuvent pâtir de ses excès. Les autres, ceux qui s’en fichent, copient, piratent, diffusent… ne savent même pas ce qu’est une licence et ne sont pas touchés par les clauses abusives. Bref, on pénalise les mauvaises personnes, d’où l’idée d’inéquité. Il est vrai que depuis longtemps, les typographes subissent une copie massive. Mais n’est-ce pas par défaut d’un modèle économique plus direct et plus équitable ? Les intermédiaires ont longtemps été les rois dans le domaine. Ce qui ne facilite ni la connaissance mutuelle, ni le respect, ni le sentiment de juste rétribution.

Avec l’émergence des supports électroniques de lecture, la peur du piratage semble avoir (temporairement ?) aveuglé les typographes, qui rament déjà pas mal pour gagner leur vie (voir cet autre document de Frank Adebiaye) ou les témoignages de créateurs de caractères recueillis lors de la semaine Vendu aux Rencontres de Lure. En effet, les voici tombés de Charybde en Scylla : plus indépendants grâce au web, s’ils échappent aux fonderies qui exercent sur eux des conditions abusives et distribuent leur fonte, montent leur fonderie, les voilà se vendant et surtout vendant leurs clients et même leurs lecteurs à des petits intermédiaires opportunistes et très dangereux qui ne font rien d’autre que nuire à tous : typographes, lecteurs et éditeurs, en verrouillant l’accès au texte de lecture et de titrage sur leur serveur.

Mais arrêtez de compter les puces !

Nous avions souligné cette question des licences comme seule réponse à un problème soit-disant technique, ceci ailleurs, il y a un an, en posant la question de l’évolution de ces licences caduques et anachroniques, en commentaires d’une présentation du service Typekit dont le débat dérivait dans une technicité frileuse, ou frilosité technique au choix.

« N’est-ce pas aux distributeurs de polices (y compris et surtout les micro distributeurs, les typographes eux-mêmes) de faire évoluer leurs licences, et d’envisager des solutions de diffusion sans DRM (comme pour la musique), par exemple par tatouage (insertions d’informations dans le fichier police lui-même qui rend manifeste un usage frauduleux) ? Sans faire évoluer les licences, ils risquent de passer à côté du marché, qui est, plus que le web, mais l’ePub : livre / magazine électronique édité, en xml, et embarquant des polices. Moi, je dirais : sortez vite de typekit et expérimentez des licences innovantes sur des polices de test, vous pouvez cartonner. On cherche ! Et quitte à payer un webservice [si on a peur pour ses fontes], il y aura peut-être des spiders qui parcourent les @font-face du web et contrôlent les licences. Les vrais pirates ne sont de toute manière pas gènés, par aucun dispositif, alors essayons vraiment de promouvoir les usages légaux, sans tiers percepteur.

Non ? Allez, moi je vous dis ça en tant qu’éditeur [réglo et dont tous les ouvrages sont sous licence Creative Commons by-nc-sa depuis le début], mais c’est vous les typo imaginatifs…Pardon, j’ajoute qu‘évidemment les “ebooks” se lisent offline (déconnecté d’internet), utilisent css3 et @font-face, sont un enjeu très important des prochaines années, et qu’on n’a pas fini d’entendre parler de leurs DRM :-) Il serait intéressant d’organiser une petite rencontre sur ce sujet des licences et de leurs évolutions. « 

C’était il y a un an ! Cela m’a surpris moi-même. Actuel non, quand les ipads et autres tablettes représentent une réelle opportunité pour la micro, la mini, l’auto-édition ? Alors on va lire en Times encore longtemps on dirait. Nous avons toujours besoin de fontes de qualité, originales, indépendantes (belles et sauvages), même « chères », mais avec des licences témoignant d’un minimum de respect de notre métier d’éditeur, ou de notre activité de graphiste. Car le respect et l’équité, c’est mutuel. Et surtout nous favoriserons toujours ceux qui ont une bonne intelligence des enjeux actuels. Une initiative comme celle de Frank Adebiaye pourrait bien contribuer à lancer un débat vif mais à faire avancer les choses (psst la typo du titre là haut est de lui, elle s’appelle Boxer et elle est libre).

Par ailleurs et pour conclure parce que l’occasion m’en est donnée, une spéciale dédicace aux juristes qui prennent le pouvoir partout (procédures de marchés, etc.) et rendent nos vies et nos métiers de graphiste, de créateur de caractère, de webdesigner et autre, purement et simplement Kafkaïennes : FucK.