« Dans quel cas faut-il faire un dessin ? Quel dessin faut-il faire ? » Questions si simples en apparence, mais dont Jacques Bertin n’a eu de cesse de souligner l’importance et le besoin de méthode… Naissance d’une théorie à partir de la pratique et de ses manques.
Jacques Bertin s’est éteint le 3 mai 2010 à l’âge de 92 ans. Auteur, chercheur et enseignant (et pas chanteur), il était le père fondateur et visionnaire de la « sémiologie graphique » et avait dirigé le laboratoire de Graphique de l’École des hautes études en sciences sociales (il s’agit de la Graphique : non pas l’adjectif, mais le substantif féminin qu’il avait forgé pour désigner son champ d’exploration).
Il pourrait considérer son œuvre accomplie, à l’heure où la représentation du complexe ne peut plus se faire sans graphique, et où la visualisation d’information est tellement à la mode. Bon, ok c’est un peu oldschool graphiquement, mais il nous laisse un trésor de sens, à redécouvrir. La lecture de Bertin a été très stimulante pour moi et est venue nourrir un projet de thèse sur les représentations graphiques.
En fait, avant même que la représentation de données ne devienne un champ du design, et puisse comme aujourd’hui, prétendre à être belle, il aura fallu qu’elle accède déjà à une légitimité. Pour cela elle devait faire ses preuves : non seulement capable de représenter au mieux les données traduites dans l’espace, mais au-delà de ça, capable de révéler une signification cachée dans les données. Un long chemin que Bertin a arpenté sans relâche. Serge Bonin, qui a travaillé trente ans avec Jacques Bertin, raconte la genèse de la sémiologie graphique qui portera très vite un nom : la graphique. «Les chercheurs, qui ajoutent (encore maintenant) des illustrations à leur texte au dernier moment, arrivaient au laboratoire avec leurs petits dessins ; nous étions chargés de les redessiner dans les délais les plus rapides, bien sûr. Par ailleurs, nous pouvions constater que peu de personnes regardaient ces dessins dans les publications, que très peu les comprenaient, parce qu’ils étaient difficiles à décrypter, sans information apparente ; ils étaient donc inutiles.
Nous avions alors deux solutions : soit recopier bêtement ce qui nous était apporté ; soit essayer d’analyser et de comprendre le contenu du dessin, puis reconstituer le tableau de données, réfléchir sur une construction qui permette de voir rapidement si une information intéressante apparaissait, et en fonction d’une réponse positive, reconstruire une image utile. (…) C’est à partir de l’analyse systématique de centaines d’images que Jacques Bertin a pu définir les variables visuelles et structurer les premières règles de construction de l’image graphique. » (1)