Le fric, c’est chic

Avec comme thème l’argent et comme titre Vendu, le contrat graphique, la prochaine semaine de typographie se tiendra à Lurs, du 25 au 30 août 2008. Le programme détaillé n’est pas encore publié, mais le thème un brin provocateur et en tout cas dans l’air du temps, doit être stimulant vu l’avalanche de propositions d’interventions et d’idées :-) Des « âpres au gain », des « bénévoles », des stars et des inconnus montrent et parlent… Voici l’intro et dans le tiroir un texte plus long.

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Vendu, le contrat graphique

Le « contrat » graphique : commande, création, rémunération. Parfois aussi : un inconfort. À sa question sincère et pressante « que vaut vraiment ma création ? », le graphiste s’entend répondre par la petite voix malicieuse du doute : « sur le marché ? ». Le vécu, souvent passionné (et passionnant) de cette relation à l’argent est ainsi occulté, comme par pudeur, ou par malaise. Encore moins souvent abordée, la question essentielle : est-ce un hasard si le graphisme est le lieu où la tension entre la création et le commerce, l’art et l’argent semble la plus vive ? Il suffit peut-être de regarder les termes du contrat pour y répondre. Graphisme et typographie semblent constituer le champ privilégié où se crée, et se joue le jeu de la valeur. De quoi faire tourner la tête de ses praticiens… d’inquiétude ou d’ivresse. Rencontres et images, en paroles et… en chiffres, avec les graphistes, typographes, photographes, historiens, chercheurs et quelques empêcheurs de compter en rond.

On le désire passionnément, ou on y voit la cause de tous les maux ; l’argent en soi n’est pourtant pas toujours le mal et on constate aujourd’hui que la gratuité peut s’avérer un miroir aux alouettes. Payer (son information, la création,…) peut-être un moyen de préserver sa liberté, d’affirmer son indépendance. Un contrat. L’argent est finalement bien indifférent au bien et au mal : il en va autrement des comportements qu’il provoque. Si l’argent doit faciliter, fluidifier (on parle de sa liquidité) les échanges d’objets de nature différente, il peut s’avérer beaucoup moins fluide, voire plein d’aspérités. Un champ miné de questionnements, de difficultés. C’est le cas pour les arts graphiques, classés parmi les arts appliqués, et séparés du monde « désintéressé et pur » des beaux arts, quand la finalité des oeuvres est extérieure, qu’elles ne sont pas autonomes, et font l’objet d’une commande initiale, d’une transaction finale.

Part plus ou moins assumée du travail du graphiste, l’argent rappelle chaque jour le lien qui subordonne cette création à son commanditaire autant qu’à son auteur. Le doute est toujours possible : est-il un signe de reconnaissance, de succès, ou bien d’asservissement, d’échec ?

Le graphiste s’efforce ainsi de maintenir cet équilibre précaire entre la contrainte et la liberté, entre allégeance et l’affirmation de soi et de son style. Un équilibre qui devient une tension depuis que la réclame, la publicité ou la communication, consacrent tant de talent à promouvoir d’autres transactions, d’autres consommations, comme en cascade. Pour que la reconnaissance artistique finisse par atténuer cette tension de l’économique, il faudrait au graphiste atteindre la notoriété suffisante qui le libèrerait, comme créateur, de tout lien. À moins que ce soit là une autre illusion… serait-il alors toujours graphiste ?

Mais, croirons-nous que c’est un hasard si le graphisme est précisément le lieu de cette tension ? Qui pense à regarder de plus près les termes du contrat

Au-delà de la pratique, du vécu, de l’expérience graphique, il y a en effet la proximité, et même la parenté intime des signes et de l’argent, tous deux fondés sur le consensus ou la convention. L’argent est un signe parmi les autres qui ne vaut ce qu’il vaut que parce que nous y croyons tous ensemble au même moment. Cessons d’y croire et il ne vaut plus rien, le grand Krach. Et le signe ? Ferdinand de Saussure, dès la formulation de sa théorie linguistique, complète rapidement sa description aujourd’hui classique du signifiant (forme) et du signifié (idée) par un troisième concept fondamental qu’il décide d’appeler… la valeur : la différence entre les signes, qui cohabitent comme les pièces d’un puzzle, y finit par compter d’avantage que la signification exacte de chacun d’entre eux. Autrement dit, les signes forment un système, un monde en soi, un monde essentiel à l’activité humaine. Il n’est donc pas surprenant de voir avec quel empressement les compagnies, firmes et institutions désincarnées se bousculent pour entrer dans son alphabet et se font forger des signes les représentant. Leurs logotypes y sont comme leurs avatars dans le deuxième monde, celui des signes, celui qui vaut.

Graphisme et typographie constituent ainsi le champ privilégié où se crée, et se joue le jeu de la valeur. De quoi faire tourner la tête des praticiens graphistes et typographes… d’inquiétude ou d’ivresse.

Les Rencontres internationales de Lure parcourent cet été en signes et en images, en paroles et… en chiffres, avec les graphistes, typographes, photographes, historiens, chercheurs et quelques empêcheurs de compter en rond.