[m-à-j] le livre Paine Révolution est enfin disponible ici !
La Déclaration universelle des droits humains de 1948 a 70 ans. Cet anniversaire verra pourtant de nombreuses oppressions et abus, religieux, économiques, politiques ou sexuels, dans le monde entier. Et il faudra encore prendre le temps de la relire pour mesurer l’écart entre cette déclaration et la réalité, s’efforcer encore de réduire cet écart.
Paraissant cette rentrée, la production de notre master II d’édition à l’université de Caen de cette année pourra y participer : c’est un volume consacré aux droits humains. Révolution Paine est un beau bébé de 384 pages 13,5 × 20 cm, illustrées, coédité par Émém des textes et C&F éditions et disponible partout dès le premier septembre, un peu avant en précommande, au prix de 16 euros. Il est composé de deux grands textes de Thomas Paine, auteur étonnant et méconnu en France des Révolutions du XVIIIe siècle. Les Droits de l’homme livres I et II, avec une introduction remarquable, inédite dans notre langue, de Peter Linebaugh ainsi qu’un dossier constitué d’un essai Lecture de trois textes de Thomas Paine, d’une bibliographie, d’une biographie, de la déclaration des droits de la Femme d’Olympe de Gouges, et de la DUDH de 1948.
L’idéal d’égalité ne suffit pas : il faut la mettre en place
Au XVIIIe siècle un homme s’est mis au cœur de cette question, c’est Thomas Paine. Sa vie rocambolesque est déterminée par deux choses qui nous ont conduit à nous y intéresser : d’abord il écrivait pour la cause révolutionnaire, et pour tous, dans une langue accessible alors que la tradition était à son époque en Angleterre d’employer un code élitiste dans les livres. Ensuite, c’est je crois son étincelle singulière, il a laissé les imprimeurs contrefacteurs imprimer et diffuser massivement ses œuvres, renonçant du coup à vivre de leur vente. Les idées de Paine ont ainsi touché le territoire vierge de l’Amérique naissante, son petit essai Le Sens Commun, écrit dans une langue simple et directe, pour les colons, est né de la volonté d’éduquer, d’informer et de former des consciences éclairées de citoyens à partir de sujets (de Sa Majesté), et de s’émanciper de la couronne. La liberté avant l’égalité, mais comme condition, avec l’égalité comme but. Tous ses écrits ont continué avec cette forme simple, même lorsqu’il affrontait les moqueries des aristocrates.
Paine a parcouru le monde de gré ou de force (contraint à l’exil pour sauver sa peau), d’Angleterre en Amérique, puis en France, pour y accompagner (ou susciter) les révolutions. Révolutions qu’il définissait non comme un renversement ou une révolte, mais au contraire, comme une remise en ordre des choses, qui étaient à l’envers du fait de la monarchie, de la corruption et des abus qui l’accompagnaient. Cela a marché en Amérique, et en France, mais cela a échoué en Angleterre, patrie d’origine de celui qui se définissait comme un « citoyen du monde ».
Les textes de Paine sont inspirés, et ont connu un grand succès populaire, malgré la censure et la persécution. Il a eu tantôt de la chance, tantôt le courage de l’exil, mais a toujours échappé de justesse au destin fatal que lui vouait le pouvoir en place. Il faut lire sa biographie. Ce qui est intéressant, c’est qu’après avoir discuté et défendu les droits de l’homme contre ceux qui les critiquent (et notamment contre Burke), Paine se charge aussi de les mettre en pratique, il conçoit (et chiffre) la retraite, la sécurité sociale, et même le revenu d’existence pour sortir de la pauvreté.
> « Quand pourra-t-on dire dans aucun pays du monde : mes pauvres sont heureux ; on ne trouve, chez eux, ni la misère, ni l’ignorance ; mes prisons sont vides, mes rues n’offrent aucun mendiant ; la vieillesse ne manque de rien, les taxes ne sont pas oppressives, le monde raisonnable est mon ami, parce que je veux son bonheur ; quand on pourra dire toutes ces choses, alors ce pays aura droit de se vanter de sa constitution et de son gouvernement »
Cet auteur, longtemps honni en Angleterre et vénéré en Amérique du nord, reste trop méconnu en France, hormis des historiens évidemment. Nous avons décidé de constituer un volume qui permettent de mieux connaître Thomas Paine et ses idées. Révolution Paine a ainsi été réalisé par mes étudiantes en Master II édition à L’université de Caen-Normandie en coordination avec Florence Morel. Le travail éditorial accompli sur cet ouvrage est considérable ; c’est bien celui du choix, de l’assemblage et de la préparation des textes : sélection, traduction, correction et annotation critique. Nous avons bénéficié de la bienveillance de Peter Linebaugh, d’Eric Muller de Efele.net et de Jean-Marc Simonet, des Classiques des sciences sociales de l’UQAC. Nous avons aussi choisi des compléments, illustrations, portraits ou caricatures qui circulaient à l’époque. Au final, c’est un bel ouvrage et je tire mon chapeau aux petit groupe d’étudiantes qui ont mené un chantier difficile et immense avec courage.
Changer le monde avec des livres
Le billet de blog (et sa liberté) se prête à la digression. Profitons-en un instant. Je trouve depuis longtemps intrigante l’idée que des textes modifient le cours des événements, ou plutôt j’ai étudié les modalités de cette articulation entre le monde des idées et celui des choses (chez Benjamin & Brecht). Cette influence est sans doute une réalité, et le livre imprimé, en matérialisant les idées par la reproduction mécanisée est central. Mais elle a aussi sa part d’illusion, un effet de perspective raccourcie, quand ces textes ne font qu’accompagner ce cours qui change, voire qui se révolutionne, émerger de lui, parfois certes un peu en amont, en sédimenter les volontés.
Le livre cristallise bien quelque chose de l’histoire, mais jusqu’où en est-il un acteur ? Parfois ces livres annoncent la sombre couleur des temps à venir (je pense à l’ignoble bouquin d’Hitler, et il y en a tant d’autres), parfois ils éclairent une nouvelle ère (la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, notre première constitution) mais peut-on mesurer le bien ou le mal que fait un texte ? Pas si évident. Même si les gourous les utilisent, qui blesse le plus, du gourou ou du livre de gourou ? En tout cas ce n’est pas une question anecdotique, puisque Le Livre avec capitales, est toujours un livre religieux. Bible ou Coran dont on ne peut pas dire qu’ils n’ont eu aucune influence sur la civilisation et donc l’histoire. Se pose toujours la question du bien et du mal que peut faire un livre. Ou plus simplement la foi qu’on lui prête.
Peut-être sa large diffusion contribue-t-elle à cet effet, quand leur lecture est rendue obligatoire par exemple (le petit livre de Mao), ou, comme dans le cas opposé de Paine, quand l’auteur décide de perdre le contrôle et de laisser les usages décider, favorisant la copie pour en faire un commun de la connaissance, au moment ou Kant ou Beaumarchais théorisent au contraire la paternité auctorale et son droit (de manière certes nuancée, mais c’est tout de même le moment de l’émergence de cette idée).
L’existence de la censure semble indiquer qu’il y a bel et bien influence ; si un livre est jugé constituer une menace, il fait l’objet d’une interdiction. Mais, même si on croit sur le moment à cette idée qui n’est pas dénuée de fondements, on se rend compte avec le temps que c’est toujours la censure elle-même qui constituait la menace, et que le juste combat était mené par ceux qui luttaient contre la censure (Paine bien-sûr, mais plus près de nous les éditeurs Maurice Girodias, ou Jean-Jacques Pauvert). Il y a tant d’histoires d’abus et de faux pas commis par la censure au nom de la protection de la société (quand ce ne sont pas des crimes de bûcher), qu’on peut penser que les textes peuvent et doivent circuler. Il y a pourtant toujours le débat sur Céline et ses bons et mauvais textes, le retour de Mein Kampf… La position contre la censure n’est jamais si simple à tenir, car la question sous-jacente n’est elle-même pas simple. Mais de toute manière les textes doivent être accessibles, ne serait-ce que pour être étudiés. Aucune raison de les faire disparaître.
Paine pose bien cette question en prenant fait et cause pour les peuples contre le pouvoir monarchique, à ses risques et périls ; et sa victoire est patente. La DUDH de 1948, 160 ans après lui, en a tiré les leçons, elle est plus concrète, plus complète que celle de 1789. Elle a tiré les enseignements de ces deux ouvrages que nous réunissons aujourd’hui. Peut-être pas encore assez.