Notes depuis l’archive

17 kilomètres d’archives. De là-bas, des pensées, des notes un peu décousues, en contact avec les documents. Mais le tissage (350 mètres environ) est commencé. Mettons ici quelques images avec et avant les mots.

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Effet de masse : 1700 images, 17 kilomètres d’archives à ce qu’on m’a dit. De tout. Même mon ordinateur a la tête qui tourne. Je dois avancer vite. Cela n’est pas si gênant pour le projet, qui se nourrit de spontanéité. On pourrait appeler ça une tentative d’épuisement…

Il me faut travailler avec l’imagination. Comme une simulation des usages possibles de l’archive. Ne pas hésiter à tisser des phrases avec les mots puisés. Les gens ici sont vraiment accueillants et semblent me faire vraiment confiance. Situation rare de liberté dans un espace clos :-)

Le document possède une indéniable force pédagogique. Cela n’a rien à voir de lire un chapitre dans une histoire de France, ou de tenir dans ses mains une fiche, une lettre, un ordre signé. L’archive est un lieu pour la conscience et l’émotion autant que pour le savoir.

Les documents sont également impressionnants dans le soin qu’on a pu apporter à leur constitution : composition typographique, calligraphie, ornementes, reliure, étiquettes. Je ne parle pas des plus anciens, des parchemins, mais aussi de ceux du XXe siècle. Une attention, du temps humain cristallisés sur le papier. Notre XXIe siècle, avec son Arial sur papier A4 extra blanc ne donnera pas autant de plaisir aux chercheurs de l’avenir.

L’administration a, dans le soin de l’enregistrement et la précision de son vocabulaire (consigné dans le gros dictionnaire de Block) quelque chose de grand autant que d’inquiétant. Une noblesse des strates. Les lieux, les personnes sont constitués, ils n’existent qu’écrits. Ici en registres.

Je ne sais pas pourquoi, mais à un moment, je me suis rappelé ici « l’inconscient ignore le temps » de Freud. J’ai pensé : l’administration, elle aussi ignore le temps. Avec l’impression de visiter un inconscient. Collectif, bien-sûr, et plein de refoulements (sociaux, juridiques). Quand je croise quelqu’un dans les magasins, c’est comme un événement qui fait quitter le temps « suspendu » ; envie de dire « bonjour », encore une fois, même si on s’est déjà vus plusieurs fois dans la journée. Une journée dans les magasins, ça pourrait être un mois, une heure, on ne sait pas.

Je parle de fil (d’Ariane) et je découvre que les archives sont pleines de fils. Je découvre même que les archivistes ont un nœud à eux, un drôle de nœud qui ferme les boîtes et est facile à défaire (pour moi c’est une vraie plaie de le refaire quand je l’ai défait).

En rentrant à Paris je vérifie une chose : oui, ces boîtes noires à ruban crème que je trouve au fil des rayonnages depuis quelques jours sont fabriquées dans le passage Dallery qui donne sur la rue de la Roquette, à deux pas de mon atelier.

Drôle d’impression de collecter par sondage, aléatoire ou instinctif : comme si cela me donnait une meilleure mesure de ce que je manque. « Bonheur de Proust, à chaque relecture, on ne saute jamais les mêmes passages ». En entrant dans les salles, la porte coupe-feu se referme plus vite que les néons ne s’allument, ce qui laisse le temps à mes yeux de s’accommoder à la minimale lumière verte de la diode du boîtier de sortie de secours. Au final, je me trouve bien dans cette obscurité verte.

La photographie in-situ n’a pas de limite : les défauts, difficultés de position, problèmes de lumière, de reflets, deviennent des interlocuteurs pour un dialogue. On négocie, je leur laisse de la place. Tout plutôt que de s’installer dans un confort de studio. Je deviens tolérant. C’est peut-être un signe de sortie de l’image.

Il m’est apparu qu’il manquait quelque chose dans cette série. Quel drôle de verbe que « prendre en photo ». Avec comme une iniquité : prendre. Moi j’ai envie de donner quand je prends : échanger. Surtout ici, avec toutes ces personnes qui ont laissé des traces. Alors il me semble logique d’apporter un peu d’archives à l’archive. Comme si ce n’était pas une question de pudeur ou d’impudeur mais simplement éthique : je comprends vraiment le sens de la phrase de Godard sur le travelling.

M’exposer un peu aussi, au sens fort du mot, et pas seulement muséographique. De manière moins codée que dans Livre, puisque les documents livrent le vécu dans cette forme plus crue, brute, un peu douloureuse. Mais avec humour quand même ;-)