Collant

Bon, des contre-jours avec un téléphone portable en guise d’appareil, c’est pas l’idéal, mais ça fait un petit souvenir de ce début d’accrochage (collage plutôt). On voit José Machado et Philippe Dentinger, sérigraphes de leur état (Troyen), œuvrer.

À la fin de leur dure journée, ils n’ont pas accroché (appliqué) un quart de ce long chemin de croix qu’est devenu le fil d’A, et ça prend déjà beaucoup de place :-) Courage pour relever tout ce qui est encore disposé sur le sol. Leurs tirages sont superbes, des centaines d’images et de mots sont prêts à entrer en scène. Le moins qu’on puisse dire, c’est que je me suis « installé », je me suis même un peu « incrusté ». Collant. C’est marrant comment in situ, les problèmes peuvent devenir des opportunités : de nouvelles idées émergent. On s’amuse un peu dans les coins (faut venir voir pour comprendre).

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Jeudi on vernit, je remercierai Nicolas Dohrmann, directeur, Claudie Odille, et tout le monde aux archives, pour la qualité de leur accueil et la totale confiance qu’ils m’ont faite. Je me disais aussi, le bâtiment a donc vingt ans, et il y a vingt ans, ce type d’installation n’était pas facilement envisageable. Le projet dans son entier tient vraiment du numérique. Prise de vue en masse mais léger, tris, classements, réglages, cadrages, assemblage, transmission à distance, impression. Tout cela s’est fait numériquement et de manière totalement dématérialisée. Et là, maintenant, nous revenons au monde réel et nous lui rendons des images.

Mais au fait ! Hervé a écrit là-dessus un petit papier très bien. Je le glisse ici dans le tiroir « lire plus », avec ensuite, en réponse détaillée, les réflexions de Jack Kessler (toujours passionnantes et passionnées) qu’Hervé m’a transmises.

PS : et comme il n’y a décidément plus de sujet innocent, il faut savoir que le sénat vient d’adopter un projet de loi assez inquiétant (tiens donc ?), relatif aux… archives, qui en limite les possibilités de consultation à… l’infini, tout simplement, pour motifs sécuritaires, encore.


Message de Hervé Le Crosnier :

Bonjour,

Il se trame quelque chose entre Paris et Troyes aujourd'hui.
Dans l'inconscient des papiers entassés, dans le geste manuscrit
de l'archiviste, dans les parcours poétiques de celui qui ne
veut pas lire, mais capter les traces.

La photographie a été inventée pour cela. Quand il s'agit de
photographier l'écrit, les livres, les cahiers, les notes,
les événements calligraphiés de la main malhabile du scribe,
on se trouve à ce carrefour de ce qui signifie et de ce qui
signe fit.

Nicolas Taffin prépare une exposition à Troyes. Une mission
en basse archive : photographier et donner à voir les 17
kilomètres d'archives de l'Aube. Cartons, papiers, rubans,
encre et plumes. L'administration de l'histoire et l'histoire
des administrés comme matériaux d'une quête photographique.

Nicolas avait commencé ce travail de numérisation de l'émotion
de l'écrit, ce qu'aucun logiciel OCR ne pourra jamais approcher,
avec les illustrations du livre "Livre," de Michel Melot.
Il continue à arpenter les mots écrits et les supports.

Numériser, ce n'est pas seulement changer de support, c'est
redonner à lire, à voir et à émotionner. La "photographie
numérique" ne fait pas de photocopies, elle invente le regard
pixélisé.

Mais bon, faut déjà avoir le regard....

L'exposition ouvre du 24 avril au 24 juin aux Archives
de l'Aube à Troyes (de 9h à 17h... sauf week-end)

En attendant, le travail laisse lui aussi des traces numériques.
Sur le web de Nicolas :
<a href="http://www.polylogue.org/commentaires.php?id=124_0_1_0_C">http://www.polylogue.org/commentaires.php?id=124_0_1_0_C</a>

Un avant goût.
En en attendant d'autres...

Hervé Le Crosnier

PS: Disclaimer : Nicolas est mon ami, vous auriez deviné.

Réponse et réflexions sur l’image de Jack Kessler :

Hi Hervé,

I have added references to N. Taffin’s exhibit, on my FYIFrance « calendar » — maybe we’ll get some visiting Yankees & Brits to see it, devalued dollar & sterling or not — you and he and anyone else can view the annonces at —

http://www.fyifrance.com

— I have included your own email text there in toto, in the first of 3 entries, only the one for April, thinking this would be OK with you?

You make very interesting points, in your posting :

Il se trame quelque chose entre Paris et Troyes aujourd’hui. Dans l’inconscient des papiers entassés, dans le geste manuscrit de l’archiviste, dans les parcours poétiques de celui qui ne veut pas lire, mais capter les traces.

I used to think « history » had captured it all. Then I lived some of it myself, and discovered to my amazement just how inaccurate and incomplete the historians always are.

How to describe the foibles and personal life and attitudes of Henri IV, 500 years after? Impossible… even if one is Henri IV himself. There is too much variety, too many salient details: the best we can do is traces, just as you say.

And our « science » does no better. I learned this early: history captivated me, for a while, as science never did. But I alsp learned that all scientists proceed from old paradigms, and within new ones… Well, that makes it easy: tidiest way to deny reality is to define it to suit yourself.

So, traces — you make a good point –reality is too immense, traces are what we have.

La photographie a été inventée pour cela.

I am not certain that was the intention. More the result. Most early photographers were historians or scientists, in the above-mentioned senses. A few not, though: Nadar, Steichen maybe.

Eventually photography did free itself a bit, perhaps: the eye does see more than our verbal and written languages do, yes. I only realized this fairly late in life — my education was nearly entirely verbal, and written, so there I missed a lot.

Quand il s’agit de photographier l’écrit, les livres, les cahiers, les notes, les événements calligraphiés de la main malhabile du scribe,

La main malhabile du scribe… You have a gift for phrases.

on se trouve à ce carrefour de ce qui signifie et de ce qui signe fit.

The signifier and the signified… Another good phrase by you — not exactly the same idea, yours more that of semiotics — still, the same epistemology intention. So much, in our verbal and written and also photographic worlds, relies upon such embedded structures.

After years of studying it, I never was able to grasp epistemology: we know even less about what we ourselves know than we do about the knowledge of others, I finally decided.

So I studied politics — less the understanding each of us has than the frontier where such understandings meet — the common ground, also in some senses the fringe, la lisière.

I figured that was politics and I have not been disappointed: most often a dialogue des sourdes but occasionally a thrilling breakthrough. The Internet is the perfect place for me, for that: sometime-communication.

So that is what photography does, is it? What Taffin with his images of one medium in the « eye » of another is up to?

Have you ever seen David Douglas Duncan’s wonderful photo series of old Picasso eating a fish: how he first carefully sucks the flesh from the bones, then lays the skeleton delicately out on the plate, makes the mold, pours, casts — voilá an abstraction about symmetry and timelessness — Picasso, quizzed, probably would have replied, « No, it’s a fish. »

Nicolas Taffin prépare une exposition à Troyes. Une mission en basse archive : photographier et donner à voir les 17 kilomètres d’archives de l’Aube. Cartons, papiers, rubans, encre et plumes. L’administration de l’histoire et l’histoire des administrés comme matériaux d’une quête photographique.

I enjoyed his images in Melot’s book very much. I am sure these new ones will give me much insight, too, into the archival warehouses and library stacks in which I have spent so many happy hours — into me, too, always wondering why it made me so happy.

Taffin’s images have a tactile quality. The softness and hardness in them one can « feel » just by looking.

Nicolas avait commencé ce travail de numérisation de l’émotion de l’écrit,

L’émotion de l’écrit… again, your wonderful gift for phrasing… You must realize, though, that far too much writing contains far too little emotion. The 19th c did it — all that rationality, all that science — the Éclaircissement perhaps most to blame, for « liberating » us to such a dessicated fate.

ce qu’aucun logiciel OCR ne pourra jamais approcher,

Soit. The kids at Google don’t know what they’re missing…