Les sorciers qui font parler les vieux papiers

Avec un retard phénoménal et gastonien, je reprends ici le fil de quelques lectures, du moins les plus passionnantes de ces derniers mois… Aujourd’hui je voulais laisser une trace de ma lecture de deux livres de fouineurs remarquables. David Dufresne, New Moon, café de nuit Joyeux (Le Seuil) et David Grann, La note américaine (Globe).

Qu’y-a-il de commun entre un cabaret de la place Pigalle et une réserve indienne de l’Oklahoma ? On pourrait dire les Apaches, pour rigoler, mais sinon apparemment pas grand chose. À chaque bout de la planète, les deux recèlent des secrets, flamboyants ou sordides, qui semblent oubliés, mais sont en fait gravés dans la mémoire de quelques survivants et éparpillés façon puzzle dans les montagnes de vieux papiers comme des aiguilles dans une meule de foin. Il faut du courage pour envisager d’en relater l’histoire. Ce que font, avec une ténacité invraisemblable, deux auteurs, deux grands fouineurs, chacun avec des motivations différentes. Et une en commun, entre archéologie des faits oubliés et chamanisme, le désir de remonter le temps en construisant pour cela une machine de papier et d’écriture.

David Dufresne hante Pigalle à la recherche de ses souvenirs, de témoignages, de bouts de papier qu’il chine dans de vieux magazines, des cartes postales, quelques archives qui envahissent peu à peu son bureau et qu’il finit par habiter, comme un sorcier. Il reconstitue par petits fragments l’histoire et l’archéologie d’un Cabaret, qu’il a connu avant sa fermeture dans les années 80, et découvre ses différentes vies antérieures. Cette tentative d’épuisement d’un lieu, comme il l’appelle en hommage à Pérec, finit probablement par être celle de l’auteur. Il nous fait vivre, dans une machine à remonter le temps, les différentes époques traversées par ce cabaret au XXe siècle, sous différents noms, El Monico, Le Sphinx, le Bricktop’s, Le Narcisse puis le New Moon. En parcourant les lieux, la façade, l’escalier, le vestiaire, la salle, la scène, le bar, les coulisses, les toilettes, le studio… Du cabaret aux règlements de comptes, des strip-teases à la drogue, des Corses aux Punks, les néons se rallument, la rumeur reprend, la sueur se condense de nouveau.

Évidemment tout cela n’est pas si joyeux, au contraire éminemment mélancolique, et même si cela finit dans la frénésie d’un destroy punk, avant que l’argent, l’immobilier et les pelleteuses n’y remettent bon ordre, par un grand nettoyage à la parisienne. On découvre ou retrouve dans ces pages que l’essentiel n’est évidemment pas l’histoire en elle-même, mais ce qu’elle réveille : cette exigence et cette tolérance qui laissent de la place à tout ce qui est refoulé avec les souvenirs oubliés : les marges, en premier lieu.

L’entrée abandonnée du New Moon, par Davduf.

Une autre culture, de l’autre côté de l’Atlantique, mais finalement des proximités ; d’abord, la singularité d’un lieu. Après avoir massacré les amérindiens, les avoir concentrés dans des réserves de plus en plus exiguës, les colons blancs d’Amérique du nord ont fait la bourde de confier au peuple Osage survivant un territoire, pourtant minéral et perdu au fond de l’Oklahoma… qui recelait dans son sous-sol la plus grande réserve de pétrole des États-Unis. Malheureux Osages. On pourrait croire qu’ils auraient alors bénéficié des revenus de l’or noir pour améliorer leur condition, puisque les magnats du pétrole venaient en personne louer leurs terrains aux enchères. Mais ce fut plutôt le début de la fin pour eux. On apprend d’abord dans ce livre qui montre que les années 1920 c’était plus que jamais le Far-West, que la loi considérait les indiens comme des mineurs et leur interdisait de disposer de leurs biens, alors même que la presse les désignait auprès des petits blancs comme des privilégiés. Il leur fallait donc à chacun un tuteur… blanc. On apprend aussi que ces tuteurs étaient un ramassis de bourgeois ou de notables corrompus, sans aucun scrupule, qui exerçaient le tutorat en masse, en famille, concentraient les richesses au point de laisser leur pupille dans la misère, ou bien les épousaient pour certains, histoire d’hériter un jour où l’autre. Et puis ils ont visiblement trouvé le temps long avant l’héritage et ont commencé à assassiner « leurs » Osages. Meurtre, attentat, empoisonnement, une sinistre valse pour l’argent. La corruption empêchaient toute enquête, pire encore, le racisme démotivait toute volonté de justice, et si une enquête avançait un peu, témoins, avocats, et enquêteurs étaient vite liquidés. Des centaines de morts. David Grann ouvre les cartons, reconstitue l’histoire d’une famille, celle de Mollie Burkhart, dont le mari se révèle être un de ces assassins, de ses sœurs disparues et tuées, et de la sombre figure de William Hale, le vrai méchant de série, diamant noir dénué d’humanité.

Mollie, ses sœurs, sa mère.

Car il y a aussi, comme dans toute histoire américaine, le gentil, au nom prédestiné de Tom White, parachuté pour démêler cette affaire par Hoover qui était en train de monter le FBI, une agence fédérale pour intervenir dans ce genre de cas où la justice locale dysfonctionnait. Et il y arrivera, de justesse. Le gentil arrête le méchant et c’est fini. Fini ?

Le travail minutieux et impressionnant de l’auteur David Grann lui permet de faire parler les fragments de documents poussiéreux venus de cette « ville champignon » (les petits bourgs où s’amassaient les chercheurs d’or du temps de la ruée vers l’ouest) où évoluent tous ces personnages. Il lui permet également de démontrer à quel point l’affaire dépasse les résultats dont s’est contenté le FBI et mériterait une révision. Au final, deux coupables arrêtés sur des dizaines probables.

Ici aussi, des archives, quelques témoins vivants, puisque la transmission orale et la mémoire sont le fort des peuples amérindiens, une forme de ténacité, moins personnelle que celle de Dufresne, mais impressionnante permettent de construire une histoire des marges, à partir de quelques traces, avec un sérieux dont on ne peut pas douter. Les sorciers savent faire parler les vieux papiers.

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Sous le ciel étoilé

Cet été (comme presque tous les étés depuis 1952) il y a de la typo dans l’air, plus haut que l’air, d’ailleurs. Les Rencontres de Lure sont « Constellations », consacrées aux « Attractions, liens et tensions graphiques ». L’équipe de programmation a voulu, dans une année politique où le travail est et sera au centre des débats, prendre un temps sur les configurations de travail créateur : indépendants, groupés, adobubérisés, comment les designers organisent leur production entre la solitude, le désir, des collectifs ou des réseaux immatériels…

Camille Flammarion, L’Atmosphère: Météorologie Populaire (Paris, 1888), pp. 163, Public Domain, wikimedia.

Cette exploration des configurations de la création se fait à la manière des Rencontres de Lure, c’est-à-dire en douceur, en poésie, en inspiration, et aussi en coups de gueule, ou alors en rien-à-voir, souvent en à-côté. C’est ce qu’on aime à Lure, cette capacité à prendre le temps (même au pas de charge parfois) de la pensée, de la divagation et de la discussion amicale. On découvrira donc des élucubrations sur le ciel et son organisation chaotique, des lettres et typographies, des outils informatiques, des images, des architectures… Il faut aller à Lure, cette manière de faire est unique, le lieu est époustouflant et l’atmosphère est tellement amicale et inspirée. Tout cela est organisé bénévolement, pour tous : graphistes, éditeurs-trices, enseignant-e-s, étudiant-e-s…

Je cite un peu : « Une constellation est un tracé primitif qui relie les étoiles pour nous guider et donner sens au monde. De même, dans l’abondance quasi infinie de l’information, le designer graphique repère les grands astres et trace discrètement les sentiers de l’intelligible. Typographes, graphistes, artistes, conçoivent-ils des mondes qui leur ressemblent, ou se fondent-ils dans des univers qui les dépassent ? Comme Matthew Carter l’a bien décrit : « un caractère typographique est une belle collection de lettres et non une collection de belles lettres ». Comment trouver l’écart juste, dans sa pratique personnelle, en liens avec ses pairs, ses commanditaires, ses publics.

Au gré des projets, des collaborations, les designers graphiques apprennent à travailler ensemble plutôt qu’en rivalité. Chemin faisant, ils tissent leurs toiles, imaginent leurs trames et ménagent peu à peu l’espace pour renouveler leurs désirs. Ce sont autant d’oscillations, de tensions invisibles et de trous noirs de l’évolution que nous vous proposons d’éclairer et de télescoper sous les étoiles de Lurs, Alpes-de-Haute-Provence, du 20 au 26 août 2017. »

Tous les détails sur la semaine sont sur le site des Rencontres de Lure.

Il existe aussi un joli site événementiel créé et offert par Louis Éveillard !

Le site Constellations créé par Louis Éveillard

Important : une réduction de 20% s’applique jusqu’au 14 juillet, après c’est fini. Inscriptions ici.

Envie d’un aperçu ? voilà un peu ce qu’on observera dans le ciel de Lure…

  • Adeline Goyet Ouverture de la semaine
  • Frank Adebiaye + Anna-George Lopez Dans les épisodes précédents
  • Marc Bernot Feuilleton
  • Elsa Arnaud + Aurélien Audouin Pornographisme
  • Marie-Astrid Bailly-Maître + Brigitte Suffert Avant la PAO
  • André Baldinger L’atlas Mnémosyne ou la mise en page des pensées d’Aby Warburg
  • Bruno Bernard Réflexions autour de l’Excoffon Book,
  • Brahim Mouidine + Maha Boucheikha L’alphabet tifinagh
  • Annick Bouleau Passage du cinéma, 4992
  • Matthew Carter Mon ciel en typographie
  • Sonia + Yoann Chiambretto + Thommerel Mon corps n’obéit plus
  • Nicole Chosson Charles Fourrier, attractions passionnées
  • Elsa De Smet Visualisation de l’aventure spatiale
  • Christophe Delahaye Soirée d’observation du ciel
  • Guillaume Duprat De la diversité des cieux
  • Boule et Bal
  • Catherine Geel Espaces de travail
  • Pierre Gosselin Soirée Averty, vous êtes prévenus.
  • Guillaume Guilpart [ATELIER] Typo truck
  • Chantal Jègues-Wolkiewiez Les peintures pariétales des constellations
  • Indra Kupferschmid Alphabettes
  • Pierre Carl Langlais La constellation wikipédia
  • Annie Le Brun Livre et constellation
  • Alexandre Lebrun L’intelligence artificielle de Facebook
  • Yves Leterme Otium Litteratum
  • Anthony Masure & Kévin Donnot et Elise Gay Revue Back office
  • Ramuntcho Matta À la croisée des pratiques
  • Jeanne Moynot Performance, l’intimité partagée
  • Tristan Guilpart & Guillaume Pernet Plateforme créative
  • Gérard Perrier Mémoire vive
  • Laurent Pizzotti Ma voie lactée de Lure
  • Olivier Reichenstein Paper and Screen
  • Marc Smith La galaxie des anciens modèles d’écriture, de la Renaissance aux Lumières
  • Projections
  • Marc Bernot [ATELIER] Machine à découpe laser
  • Pistou/piston Soupe et fanfare Brass Band fusion jazz funk en plein air !
  • Coup de bleu Apéritif sur la ligne de crête
  • Les Parasols graphiques Petit marché graphique entre amis
  • Coup de blues On fait le point et on se quitte

Mais encore une fois, allez voir Le site Constellations.

Constellations Attractions, liens et tensions graphiques 65e semaine de culture graphique, du 20 au 26 août à Lurs, Alpes-de-Haute-Provence http://delure.org/constellations

Le programme dans la lettre réservée aux adhérents : conception et réalisation de la grande Laure Dubuc avec le Bely de Roxane Gataud et la complicité de Galilée (Le messager des étoiles – Sidereus nuncius, 1610).

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Le livrarium, premier muséum des gens du livre…

Cette année, nous nous sommes lancés avec les étudiant-te-s du Master 2 édition de Caen dans un projet un peu fou. Aller fouiller une bibliothèque numérique, et pas des moins originales, pour y retrouver des specimens dignes de constituer un muséum imaginaire des gens du livre. On y traverse successivement le pavillon des auteurs, le laboratoire des éditeurs, l’atelier des imprimeurs, le cabinet des lecteurs et la galerie des bibliophiles (et des bibliopathes) dans lesquels chaque profil s’illustre de manière inattendue.

Les textes pour la plupart du XIXe siècle, scientifiques et fictionnels, sérieux ou amusants, venus d’auteurs éclectiques, connus ou méconnus reflètent la diversité d’un fonds numérique singulier et précurseur : la bibliothèque électronique de Lisieux. Pour éclairer la lecture à l’ère du numérique, Le livrarium donne également la parole à Olivier Bogros, conservateur de la médiathèque André Malraux de Lisieux et initiateur de sa bibliothèque électronique, ainsi qu’à Hervé Le Crosnier, spécialiste des bibliothèques et de la culture numérique.

Pour les amateurs, un court tirage de cet objet rare (et bien réussi à mon goût) sera disponible en diffusion C&F éditions à partir du 30 juin (18 euros, 330 pages illustrées)… Et je vous donne ici un petit avant-propos et le sommaire intégral du livre.

Figures du livre dans la bibliothèque électronique de Lisieux

 

Avant-propos…

Si on a le « défaut » d’être curieux et qu’on a de surcroît connu le monde avant Internet, on peut se remémorer le sentiment de frustration qui harcelait alors les esprits fureteurs en permanence : telle définition qui n’est pas dans le dictionnaire de la maison, telle citation qu’on aimerait retrouver, telle information ultra-pointue qui manque cruellement.

Il y a bien l’encyclopédie, l’atlas, mais aucun ouvrage, même ramifié en volumes, ne peut remplacer une bibliothèque. Quand on s’intéresse à tout ou à n’importe quoi, il faut des livres, des livres, encore des livres ; non pas nécessairement les posséder, mais du moins y accéder, les consulter. Progressivement, on se constitue des rayonnages à la mesure de son univers mental et de ses moyens, son propre cabinet de lecture et de curiosités, mais avant cela, et même après, quand les questions demeurent sans réponse, on doit sortir fréquenter les salles de lecture.

Au coin de la rue, une honnête bibliothèque. Elle est ouverte, il y fait chaud, il y a de la lumière, de nombreux livres, des lecteurs concentrés. La bibliothécaire nous oriente, le catalogue nous renseigne, on ouvre le bon tiroir de fiches, on note une référence, puis, comme dans un entonnoir, orienté par les panonceaux, on suit la classification décimale : une salle, imposante, une allée, prometteuse, avec ses vastes rayonnages remplis de livres, une étagère, chargée. Mais sur l’étagère entre les serrelivres qui délimitent précisément le domaine de sa requête, on fait chou blanc : deux livres seulement. Le bouquin convoité est sorti, aucun parmi les restants ne contient l’information requise. Frustration. Il faudra chercher ailleurs. Où ? Dans une autre bibliothèque, peut-être dotée d’un plus grand entonnoir décimal. Demain. Un jour prochain. Mais mille autres questions auront surgi entre temps…

Les esprits les plus curieux parviennent ainsi aisément à épuiser les possibilités de la médiathèque de quartier, même copieuse. Non qu’ils y aient tout lu, mais ils ont l’art de poser les questions auxquelles elle ne peut répondre, le talent de toujours tomber entre deux livres. Il leur faut plus, surtout s’ils s’intéressent aux cultures populaires et techniques, qui requièrent souvent d’autres ressources, plus spécialisées ou moins livresques. Bref, au fil des frustrations sans doute, on en est arrivé à rêver de bibliothèques, à fantasmer des salles de lecture infinies et des réserves tentaculaires logeant Toute la mémoire du monde – pour reprendre le titre d’Alain Resnais. Et même à imaginer des bases de données omniscientes, comme l’Abou décrit par Umberto Eco dans son Pendule de Foucault (1988, avant les moteurs de recherche en ligne), qui a réponse à tout pour qui sait formuler ses requêtes sur son obscur terminal de consultation. Le rêve.

Aujourd’hui on a tout cela, jusque dans nos poches. On a beau dire que l’information n’est pas tout – et surtout pas de la connaissance – que les écrans savent surtout « abêtir » ou que le réseau est « confit de mensonges », il demeure qu’Internet donne accès à des ressources culturelles et livresques immenses, colossales, et que son « magasinier » Google sait assez bien les sonder pour qu’avec un peu de persévérance, on y trouve tout. Ou presque.

Même si on rêve un peu moins, du fait de cette banalisation, le lien intime perdure entre le livre, la bibliothèque, et l’imaginaire de la mémoire infinie qui irrigue la littérature ou le cinéma depuis longtemps. On sait aussi que ce lien s’est considérablement renforcé et nourri de visions du numérique et d’hallucinations réticulaires. On peut encore imaginer Internet comme une bibliothèque de Babel à la Borges, enceinte aux alvéoles innombrables, voir cette nouvelle ressource comme un centre de données monumental à l’architecture dessinée par un Étienne-Louis Boullée (ou un François Schuiten).

En réalité, ce n’est pas tout à fait cela. Cela existe, mais l’essence et la beauté du réseau sont surtout de fédérer mille petites initiatives distantes et familières. Mille ? Des milliers, des millions. Je peux moi-même contribuer avec quelques textes, images ou enregistrements depuis mon micro-ordinateur ou mon smartphone. Dans ces rayonnages immatériels du réseau reposent encore les idées de personnalités qui firent le lien entre la bibliothèque et le numérique. Paul Otlet imaginait en 1934, dans son Traité de documentation, une bibliothèque suffisamment grande pour regrouper et centraliser tous les livres du monde, les transmettant à distance sous forme télévisée, microfilmée ou téléphonée, dans ce qu’il appelle la Bibliopolis, la cité mondiale. Car pourquoi limiter la salle de lecture à quatre murs et ne pas lui donner les dimensions d’un pays ou de la terre entière ? Vannevar Bush semble développer l’idée en 1945 dans son « As We May Think », pour décrire minutieusement le poste de travail du lecteur, une machine cognitive qui permettrait de traiter correctement l’information distante et dématérialisée. Ted Nelson invente enfin l’« hypertexte » en 1965 et se lance dans le projet Xanadu, une bibliothèque numérique où tous les ouvrages se parlent, se prolongent de manière fractale dans un tissage infini de renvois. Ces trois penseurs influenceront considérablement les concepteurs de l’informatique et du réseau tels que nous les connaissons et leurs premiers utilisateurs civils : des chercheurs californiens. Il est maintenant connu que ces derniers n’hésitaient pas à agrémenter leurs lectures de substances hallucinogènes pour augmenter leur capacité visionnaire.

À Lisieux commence, sans doute plus sobrement, au cours d’une nuit de la fin des années 1990, la saisie de textes que relate Olivier Bogros dans les pages qui suivent. Ce faisant, le bibliothécaire porte la part nocturne et utopique du partage du savoir, qui correspond également à sa vocation professionnelle diurne. Il ne cesse depuis de partager les textes et documents du fonds de la bibliothèque de Lisieux qui attirent son attention. Des centaines. Constituant en ligne un ensemble varié de textes, courts ou longs, de gravures, de photographies et de sons. On peut en retrouver certains ailleurs, dans les méga-bibliothèques numériques du Net. Mais ici, ce petit ensemble choisi avec soin a une cohérence, un certain sens (ce qui n’est d’ailleurs pas spécialement la vocation d’une bibliothèque et ressortirait plutôt au livre). C’est parce que nous appréciions ce site singulier que nous avons décidé d’y tenter notre expérience.

Avec le groupe d’étudiant-e-s du master Document, spécialité Édition, mémoire des textes de l’université de Caen Normandie, nous avons d’abord fouillé le site comme on fouille un grenier familial fourni. Et l’inventaire ne fut pas décevant. Nous y avons trouvé des textes de tous types – intéressants, étonnants, amusants, incongrus – partageant, au fil de nos lectures, nos listes de favoris. Mais la tentation de faire de cet ensemble un ouvrage de courte compilation, un best of, n’avait à la réflexion pas vraiment de sens et risquait même de devenir une caricature. Un petit livre ne peut se faire bibliothèque, nous l’avons vu plus haut. Chacun a son rôle, son échelle. Tout étant disponible, il suffit à nos lecteurs les plus curieux de se connecter à l’adresse www.bmlisieux.com pour commencer leur propre et joyeuse exploration.

Mais, en parcourant les rayonnages électroniques, nous avons repéré quelques motifs : une lectrice ici, un imprimeur là, un bibliothécaire, un éditeur, un libraire, un bibliophile. Et quelques autres textes sur le livre, ses qualités, sa restauration… Des textes d’auteurs plus ou moins célèbres. L’idée a germé dans l’esprit des étudiant-e-s éditeurs et éditrices, évidemment très sensibles à ces questions, de dédier plus spécifiquement notre recherche à ces figures de l’édition, de tenter la mise en abyme d’un livre sur le livre. Tout de suite, les choses devenaient plus intéressantes pour un volume, surtout si cela pouvait se faire en conservant tout de même quelque chose de l’esprit de curiosa et de miscellanées qui anime la bibliothèque électronique.

Nous avons décidé d’affirmer cet esprit, de lui donner corps en invoquant la figure de la galerie ou plus précisément du cabinet de curiosités. À la fois scientifique et hétéroclite, obsolète et ravissant, positiviste et obscur. Ainsi est né Le livrarium. « Musée imaginaire » du livre – pour reprendre l’expression de Malraux – tel qu’il est reflété par ce corpus de Lisieux. Avec quelque chose de suranné comme peuvent l’être des textes du XIXe siècle qui parlent de livres tels qu’on ne les trouve plus en librairie de nos jours, et pourtant toujours porteurs de vérités cinglantes, de remarques inspirantes, de sages conseils ou pour le moins dépaysants et amusants.

Le livrarium a été réalisé à partir des textes de la bibliothèque électronique de Lisieux. Loin du simple copier-coller, il a donné lieu à un travail d’édition, de situation, d’établissement et d’harmonisation dans le respect des textes. La structuration des données et la mise en forme des textes ont été réalisées au moyen de Métopes, chaîne éditoriale développée par le pôle Document numérique de la Maison de la Recherche en Sciences Humaines de l’université de Caen Normandie, qui met en oœuvre des méthodes de balisage XML-TEI. Grâce à cela il sera dispobible en édition imprimée et numérique simultanément. Les enseignants du master ont pour cela su coordonner et articuler leurs enseignements au projet. Merci à eux. Un merci infini évidemment à la médiathèque André Malraux de Lisieux sans qui Le livrarium n’existerait même pas, une spéciale dédicace à Florence Morel qui a accompagné le projet de près, et un coup de chapeau aux étudiants qui ont tenu le coup à toutes les étapes, mêmes les plus inquiétantes, de ce projet :-) Le livrarium ouvre ses portes.

Que la visite commence…

Au sommaire.

Préface par Hervé Le Crosnier,
Avant-Propos de Nicolas Taffin,
Entretien avec Olivier Bogros.

Le pavillon des auteurs.
Conseils aux jeunes littérateurs, Charles Baudelaire,
Les traducteurs, Édouard de La Grange,
L’écrivain public, Frédéric Soulié,
Le chat, Théodore de Banville,
Gustave Flaubert à Notre-Dame de La Délivrande, Georges Dubosc,
Rose Harel, servante-poète, Marie de Besneray,
Éloges d’écrivains, Émile Zola.

Le laboratoire des éditeurs.
L’éditeur, Élias Regnault,
Code littéraire, Honoré de Balzac,
Le livre du bibliophile, Anatole France,
Rabelais et ses éditeurs, Henri-Émile Chevalier,

L’atelier des imprimeurs.
Prospectus de la typographie, François Bernouard,
L’imprimerie du Lexovien et de La revue illustrée du Calvados,
Comment notre revue est illustrée, E. Marteau,
Le compositeur typographe, Pierre-Nicolas Bert,
À la mémoire de A.-A. Hardel, F. Le Blanc-Hardel.

Le cabinet des lecteurs.
Le liseur d’affiches, John Petit-Senn,
Les bibliothèques publiques, P. L. Jacob,
Un souper chez mademoiselle Rachel, Alfred de Musset,
Latoupie-Bottin, Jules Depaquit.

La galerie des bibliophiles
L’amateur de livres, Charles Nodier,
Les diverses façons d’aimer les livres, Antony Méray,
Le bibliomane, Charles Nodier,
Quelques moyens faciles de restaurer les vieux livres, Antony Méray.

feuilletage du Livrarium, 330 pages illustrées, imprimé sur bouffant.

On le trouve ici :

Le livrarium, 18 €, 330 pages, ISBN 979-10-96812-01-1 est diffusé par C&F éditions.

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Ferme ton cloud silteuplé (petite leçon d’écologie numérique)

L’année dernière, je vous avais raconté (Euh, excuse-moi, mais tu fuis des poches…) comment le réseau ouvert à tous les participants des Rencontres de Lure souffrait du cloud. Le symptôme ? Personne ne pouvait plus rien faire du tout avec ce wifi pour tous. Eh bien voici comment nous avons résolu le problème…

petite leçon d'écologie numérique : ferme ton cloud.

Petite leçon d’écologie numérique : ferme ton cloud silteuplé (affichette réalisée avec Julien Taquet et Antoine Fauchié, version pdf).

Nous avions depuis des années (première installation ADSL du village :-) ouvert le Wifi à tous, et chaque année, la qualité de connexion se dégradait. J’émettais (à mon tour, pas du wifi mais) l’hypothèse que c’étaient les nombreux devices (smartphones, tablettes) qui envoyaient des données dans le cloud (notamment les nombreuses photos prises) au simple contact du wifi. L’ADSL étant de surcroît connu pour être fragile de l’upload. Brute Force quoi : Dropbox, Drive et autres ownCloud  se gavent de bande passante pour peu qu’ils soient partagés avec des personnes qui bossent, elles, pendant que vous glandez à Lurs.

Hypothèse vérifiée avec une découverte bonus : cette année, changement de mot de passe, et à chaque personne qui le demande, je demande en échange de commencer par désactiver le flux photo pour l’expérience. Nous nous apercevons (c’est le bonus, ça) que nombreux sont ceux et celles qui l’utilisent souvent sans même le savoir, et envoient leurs données en Californie sans le vouloir. Et nous remercient de leur avoir signalé cette fuite de données dans leur poche.

Cette manière de faire étant un peu dure, et comme je me refusais à interdire ou filtrer les sites web ou tout service, y compris ceux qui nous gênent quand utilisés en masse et silencieusement (et la neutralité du net alors ? Il est bien possible que quelqu’un ait besoin de sa Dropbox ou de son flux photos. Mais que ce soit en connaissance de cause, ça change tout). Nous avons décidé de voir si une simple information suffirait.

Bref. Nous concevons un message en forme de Petite leçon d’écologie numérique, que Julien Taquet et Antoine Fauchié ont peaufiné avec humour et mis en affichette et sous licence WTFPL (dont le pdf est ici pour vous inspirer). Pour celles-ceux qui aiment son caractère, c’est du Sandrine Nugue. Résultat ? Cette année tout le monde a pu utiliser le réseau correctement dès que la chose a été affichée. Vraiment.

Ça marche, réfléchissez-y avant de colloquer.

La pyramide de la hiérachie des besoins de Maslow, fameusement détournée et mise à jour. Pour en savoir plus http://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramide_des_besoins(Lire aussi : Euh, excuse-moi, mais tu fuis des poches… qui était la première partie de cette petite leçon d’écologie numérique).

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